Depuis plus d’un an, à la demande de Simon de Cyrène, vous travaillez avec une équipe (le GREUS) à évaluer son utilité sociale. Qu’est ce que cela veut dire ?
J’aime bien me définir comme une sage-femme. Nous aidons les structures à accoucher de ce qui fait leur identité. Il y a d’autres organisations dont l’objet social est l’accueil de personnes handicapées, mais quelle est l’identité propre à Simon de Cyrène dans sa façon d’accueillir ces personnes ? Que dit-elle à notre société ? Quelle est sa vision ?
Elena Lasida, le rapport d’Utilité Sociale met en avant la phrase : « Délier pour relier » comme «valeur centrale » de l’association Simon de Cyrène. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Cette phrase n’a rien à voir avec de la communication ou un slogan marketing. Dans une évaluation d’identité sociale, on essaie de résumer ce qui fait l’identité de la structure avec une formule, même si c’est forcément réducteur.
Dans la société aujourd’hui, il y a un souci d’accueillir la fragilité : il existe des droits, des aides, des politiques sociales, et c’est très bien. Les personnes handicapées sont reconnues, elles ont même une carte. Mais paradoxalement, on risque d’enfermer ces personnes dans une catégorie, de les réduire à leur handicap. D’une certaine façon, la prise en charge peut les mettre à part. À Simon de Cyrène, les personnes avec handicap et les personnes valides habitent ensemble. Elles vont vivre des choses nouvelles qu’elles ne pourraient pas vivre ailleurs dans la société. Les limites, les frontières sont repoussées pour créer des liens nouveaux.
Le mot « décloisonner » revient très souvent dans le rapport.
Simon de Cyrène permet de traverser les cloisons qui enferment. Bien sûr, l’idée n’est pas d’oublier le handicap.
Il y a une asymétrie dans la relation entre assistants et personnes avec un handicap, mais cette relation ne reste pas simplement verticale. Dans certaines structures qui accueillent des personnes handicapées, des professionnels viennent pendant la journée pour répondre à des besoins déterminés, sur des temps déterminés. C’est totalement différent quand les personnes vivent ensemble dans la même maison. Ce décloisonnement concerne le corps, le temps, l’espace. Le corps différent est une limite mais il fait aussi entrer en relation avec l’assistant.
Avez-vous été surprise par ce que vous avez découvert chez Simon de Cyrène ?
J’ai vu à quel point ce décloisonnement est libérateur. Notre société est tellement segmentée, fragmentée. Simon de Cyrène défie la société où la valeur absolue, c’est l’indépendance. On fait tout – et c’est très bien – pour retarder ou éviter ces situations difficiles dites de dépendance.
La société la plus heureuse n’est pas celle où personne n’a besoin des autres ! Dans l’indépendance absolue, ce qui est essentiel à la vie serait mort, parce que nous sommes des êtres de relations, tous interdépendants. Certes, un assistant permet à une personne handicapée d’accomplir un certain nombre de choses mais il va recevoir quelque chose de vital, lui aussi. Si la valeur centrale « délier pour relier » ne mentionne pas le mot handicap, c’est précisément parce que Simon de Cyrène dit quelque chose qui va au-delà du handicap à toute la société.
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