Notre racine, c’est la rencontre. Le foncier vient après
Pour certains, c’est « l’auberge espagnole » du handicap, pour d’autres « la fin de la solitude grâce à un lieu « vivant et bienveillant ». En une décennie, les maisons partagées entre personnes handicapés et valides de l’association Simon de Cyrène se sont multipliées (…)
L’association réunit aujourd’hui plus de mille « compagnons », résidents cérébrolésés, bénévoles, amis ou assistants professionnels. Mardi 25 mai, une centaine d’entre eux s’est retrouvée à Vanves, dans les Hauts-de-Seine, où le premier appartement partagé a vu le jour en décembre 2009, pour célébrer leur modèle de « vivre ensemble ».
Fauteuils électriques glissés entre les rangées de sièges, chapeaux à paillettes, discours ponctués de quelques grognements d’approbation… Le ton convenu des cérémonies officielles n’est pas de mise (…). Bandeau bleu autour du front, les habitants du site de Vanves ont scandé un « haka », version revisitée pour les « fauteuils » de l’hymne Maori, pour vanter cette vie où l’on partage « les hauts comme les bas ».
« Ici, on a tous des parcours différents, des loisirs différents. Certains sont handicapés de naissance, d’autres depuis un accident. Il y en a qui peuvent parler, d’autres moins. Mais tout le monde échange. Cette diversité, c’est aussi notre richesse. Nous ne sommes pas dans un cocon mais dans un lieu ouvert sur le monde, qui évolue. Je peux me projeter dans cette aventure », témoigne Fabien, cérébrolesé à la suite d’une maladie et un des premiers habitants du site de Vanves (…)
« Ici, je suis libre », se réjouit la Helena, 38 ans, qui vivait auparavant dans un foyer médicalisé. « Mon problème, c’est que je n’ai plus de mémoire à court terme, poursuit-elle. Mais on me tient au courant. Les gens me comprennent même si je ne suis pas pareil ».
Vincent, père de deux jeunes femmes devenues handicapées après un accident de voiture, a raconté l’amitié naissante dans le groupe de compagnons de Lille. Une quinzaine de personnes qui se contentent pour l’instant des dîners mensuels. Au menu : « des rigolades, des pleurs, du bon vin, des desserts… » et « des rencontres » qui permettent de s’extraire d’un univers très médicalisé. Ces liens sont le préalable à l’installation de toute nouvelle maison partagée. « Notre racine, c’est la rencontre. Le foncier vient après », insiste Laurent de Cherisey, l’entrepreneur social à la tête de Simon de Cyrène.
Année après année, le projet essaime. Vingt maisons ont déjà ouvert leurs portes, à Angers, Rungis, Nantes, Dijon et sur l’Ile de Ré. À Marseille et Lyon, les travaux sont en cours. Dans les trois prochaines années, d’autres arriveront à Toulouse, Bordeaux et Saint-Malo. À Paris, l’association a été retenue par le diocèse pour créer une colocation rue de Vaugirard, dans un ancien couvent.
Une innovation sociale encouragée
Innovation sociale depuis 2011, Simon de Cyrène surfe sur le succès du film Intouchables, inspiré de la vie de Philippe Pozzo di Borgo. (…). Mais Simon de Cyrène ne s’est pas contenté de ce coup de projecteur. « Chouchoute » des pouvoirs publics, elle a décroché le label « La France s’engage » en 2015 et le prix « French impact » qui couronne des pionniers de l’innovation sociale en 2018.
C’est aussi dans une maison Simon de Cyrène que le premier ministre, Édouard Philippe, a choisi de faire sa première « sortie terrain», dans la foulée de sa nomination à Matignon. En dix ans, le projet « un peu fou » est devenu un symbole de la société inclusive. « Nous sommes fiers d’être un des moteurs de l’essaimage de l’habitat partagé, se réjouit Laurent de Cherisey. Nous rencontrons beaucoup d’associations à la recherche de solutions pour dupliquer ce modèle, pour des personnes âgées ou autistes par exemple. »
L’accompagnement est un préalable à l’art de vivre ensemble
À mi-chemin entre l’institution médicalisée et le domicile, les maisons Simon de Cyrène doivent attirer des professionnels du médico-social dont certains vivent sur place, mais aussi des bénévoles et des volontaires de Service Civique.
« Cet accompagnement est un préalable à l’art de vivre ensemble. Il faut que vivre ici ait du sens pour tous », souligne Olivier, ancien exploitant de salles de cinéma devenu responsable des ressources humaines à Vanves. Benjamin, professionnel du médico-social, y voit « un modèle différent des autres établissements car il permet d’être plus attentif aux personnes » …)
« Notre société centrée sur la performance est devenue très angoissante. Les personnes fragiles nous rappellent que c’est dans la relation à l’autre que l’on se construit et que l’on donne un sens à son existence, abonde Laurent de Cherisey. Ceux qui vivent dans ces maisons partagées ne viennent pas pour aider “le pauvre handicapé” mais parce qu’ils y trouvent une relation de confiance qui rend heureux. »
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Cet article a été rédigé par Agnès Leclair – Le Figaro – mai 2019