Il plaide pour une société humanisée par l’accueil de nos fragilités et de nos différences.
Avec les progrès de la médecine d’urgence, chaque année en France, 40 000 personnes restent en vie après un grave accident, lié à la vitesse (traumatismes crâniens) ou au stress de la vie moderne (accidents vasculaires cérébraux). Elles se réveillent après de longs temps de coma avec des lésions cérébrales acquises et des séquelles physiques, psychiques et cognitives.
Depuis l’implantation des Samu dans les années 1980, près de 1,5 millions de personnes doivent ainsi réapprendre à vivre avec des handicaps sévères, rendant difficile ou impossible le retour à l’emploi, à une vie familiale et sociale telle qu’ils la connaissaient avant l’accident. Un drame qui impacte aussi leur famille… Soit plus de 6 millions de Français directement concernés.
L’effort médical mais aussi financier de la société est considérable. En le faisant, la société affirme qu’elle croit en l’homme même lorsqu’il est fragile… Et pourtant notre société postmoderne fonde la réussite d’une vie sur l’efficacité, la rentabilité, la performance, le savoir, l’avoir, le paraître…
Les personnes concernées par le handicap en cours de vie sont témoins d’une fragilité de l’homme que notre civilisation est tentée d’oublier.
Et pourtant les statistiques le rappellent : fragilité des 10 millions de mal-logés, 8 millions de personnes sans emploi ou ayant un emploi précaire, 12 millions de personnes handicapées ou malades, fragilité des jeunes, des vieux… N’est-il pas temps de s’engager ensemble pour développer une société réconciliée avec la fragilité caractérisant la vie de tout homme ?
La question sur la possibilité au XXIe siècle d’une société fondée sur la confiance en l’homme n’est pas nouvelle. La tentation d’éliminer les fragiles, les différents, les faibles ou de croire qu’il existe «des races d’hommes supérieurs et inférieurs» a nourri les extrémismes et les populismes du XXe siècle.
La découverte de ses conséquences, camps de la mort ou génocides, a permis un sursaut de conscience. Dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme en 1948 est inscrite pour la première fois «l’égale dignité des êtres humains».
Chacun en tant que citoyen est libre de s’engager pour construire une société humanisée par l’accueil de nos fragilités et de nos différences. Société fondée sur une vision anthropologique qui prend en compte tout l’homme et tous les hommes pour que l’altérité devienne source de fécondité.
La personne handicapée ou dépendante ne peut ni nous surclasser ni nous dépasser. Au contraire, elle nous appelle: «J’ai besoin de toi.» Elle m’invite à dépasser mes peurs de mes propres fragilités : elle me propose d’oser la fraternité. Valeur citoyenne qui, dans une société angoissée, donne de la joie et témoigne que chaque être humain peut être acteur d’un «vivre ensemble épanoui» ! Les économistes nous enseignent que la confiance est le socle fondateur de la croissance. Accepter la fragilité, la sienne et celle de l’autre, permet de tisser la confiance entre les hommes… Condition nécessaire pour que chacun puisse s’engager dans une co-création et une intelligence collective. Écoutons l’appel des plus fragiles à construire ensemble une société qui croit à l’homme, acteur de confiance et de croissance.
Laurent de Cherisey
Directeur Général de la Fédération Simon de Cyrène
Tribune parue dans le Figaro, du 5 mai 2016